On a sous-estimé l’importance de la déclaration faite mardi par Emmanuel Macron
quand il a demandé aux propriétaires de logement une baisse de 5 euros destinée à compenser
la réduction des aides aux logements du même montant décidée par son gouvernement. Imaginons un instant que le Président soit entendu – et pourquoi ne le serait-il pas, eu égard à son éminente fonction ? Alors on entrerait, pour de vrai, dans le «nouveau monde» annoncé par ces missionnaires du bien que sont les responsables d’En marche, un monde désormais fondé sur l’altruisme et la bienveillance. Ainsi on verrait le patron de la Cogedim, tel le duc d’Aiguillon réclamant une certaine nuit d’août 1789 l’abolition des privilèges de la noblesse, déclarer que les logements qu’il construit sont beaucoup trop chers et décider publiquement une baisse immédiate de leur prix de vente. On verrait le PDG de Century 21, la grande boîte de transactions immobilières, appeler à lui les mal-logés du pays, tel l’abbé Pierre lançant son appel pathétique. On verrait Martin Bouygues soudain converti à la charité publique adopter le discours de saint Vincent de Paul, revêtant aussitôt, en direct sur TF1, la robe de bure des moines franciscains. Et selon les désirs de Jean-Michel Blanquer et de Françoise Nyssen,
qui ont déjà organisé une rentrée scolaire en musique, tout cela se produirait au milieu d’un grand concours de cantiques célestes, tandis que
les responsables du Medef se répandraient dans les campagnes pour prêcher la miséricorde envers les pauvres.
Ce vent nouveau soufflerait aussi sur le front des luttes syndicales.
Plutôt que de crier au «coup d’Etat social» et de prévoir
des défilés tonitruants, Jean-Luc Mélenchon sortirait du placard sa mandoline et viendrait sur un air de Vivaldi réclamer sous le balcon de Matignon un aménagement de
la loi travail. Philippe Martinez ne serait pas en reste, abandonnant le ton rogue qu’il affectionne et son look de guerrier gaulois, au profit de l’ample vêtement rouge et or de Matthieu Ricard, rasant sa noire moustache pour ressembler à un moine tibétain. La manifestation de la CGT, plutôt qu’émaillée de slogans vengeurs, se déroulerait sur fond des douces mélopées d’Hare Krishna, pendant que
Jean-Claude Mailly jetterait sur les manifestants extasiés des poignées de pétales de rose…
Mais un esprit terre à terre est venu briser ce rêve merveilleux, en la personne d’
Eric Ciotti, le très droitier député des Alpes-Maritimes. Les bailleurs, a-t-il déclaré en substance, ne sont pas des philanthropes ; le droit de propriété, principe sacré, leur permet de fixer de loyers qu’ils souhaitent, quoi qu’en dise le prêcheur de l’Elysée. Ainsi le charme est brisé. Marxiste qui s’ignore, Ciotti, soulignant les rapports de force entre la classe des propriétaires et celle des locataires, a rappelé que le capitalisme, dans l’immobilier comme ailleurs, noiera immanquablement les frissons sacrés de l’extase macronienne «dans les eaux glacées du calcul égoïste».
Et aussi
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Martine Aubry n’a pas perdu sa langue, qu’elle a toujours eue bien pendue. Sortant des brumes de septentrion, elle a copieusement assaisonné Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Pas de jaloux… La réforme du code du travail, a-t-elle dit,
«organise la généralisation des emplois précaires», avant d’ajouter :
«On reprend les vieilles recettes des années 80, du Medef […] Croire que c’est en précarisant les salariés, en les licenciant plus facilement, en contournant les syndicats, en accroissant le pouvoir unilatéral du chef d’entreprise, qu’on rendra les entreprises plus compétitives, c’est vraiment une vision du passé.» La ministre du Travail
Muriel Pénicaud, qui était sa conseillère formation lorsqu’elle était elle-même à la tête de ce ministère (1991-1993), en a pris autant pour son grade :
«Tout le monde peut changer. On dit que je l’ai formée, moi je la trouve bien déformée…» Quant au leader de La France insoumise, il a reçu aussi son paquet :
«J’ai toujours considéré que le droit du travail était d’abord l’affaire des syndicats, a-t-elle expliqué.
La France insoumise est une contestation et pas la volonté d’aller gouverner […] Et il y a surtout ne pas vouloir réunir la gauche, vouloir être les seuls.» Mélenchon ?
«Il a du talent, un certain charisme, mais moi je ne fais pas de la politique pour me mettre en avant.» Les gens du Nord ont toujours eu un solide bon sens…
• Emmanuel Macron veut «réinventer» la SNCF. En échange d’une reprise de la dette de la compagnie par l’Etat, il préconise d’aligner le régime des cheminots sur le régime général et de mettre fin au monopole dont jouit l’entreprise publique. Sur le premier point, tout est question de négociations. L’alignement est logique, à condition de ne pas prendre des mesures rétroactives qui léseront ceux qui s’apprêtent à partir en retraite. A l’avenir, l’harmonisation des régimes de retraite est conforme au principe d’équité. La mise en concurrence, en revanche, peut déboucher sur des changements néfastes : les lignes non rentables mais utiles aux populations et bénéfiques pour l’aménagement du territoire seront-elles fermées sous la férule de la compétition ? Emmanuel Macron peut prendre conseil auprès d’un orfèvre : Alain Juppé, qui garde un cuisant souvenir de ses projets de réforme de la SNCF.
• Selon les enquêteurs de l’ONU, «le 4 avril, […] les forces aériennes syriennes ont utilisé du gaz sarin, tuant plus de 80 personnes, la plupart étant des femmes et des enfants». Comme disent les brillants stratèges de la realpolitik, «il faut parler avec Assad» et reconnaître que le chef d’Etat syrien est désormais «incontournable». Incontournable comme une bombe au sarin. On croyait pourtant que, grâce à Poutine, le régime syrien avait détruit ses stocks d’armes chimiques…
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