En démissionnant avec éclat du Conseil supérieur des programmes pour cause de mésentente avec son ministre Jean-Michel Blanquer, son président Michel Lussault rouvre une de ces polémiques éducatives dont la France est friande. Dans une chorégraphie bien réglée, les deux camps traditionnels ressortent les rapières de leur fourreau et font sonner buccins et trompettes. «Tradis» contre «pédagos» : Lussault a remis une pièce dans le bastringue. Chaque armée a ses ridicules. Les «tradis» soupirent après l’école d’antan, blouses grises et coups de règles sur les doigts, oubliant de rappeler que l’école de jadis, divisée en deux filères quasi-étanches, primaire professionnel d’un côté, secondaire supérieur de l’autre, plaçait les enfants de familles modestes dans la première, les fils et filles de bourgeois (ou de profs…) dans la deuxième. Les réformes entreprises depuis ont pour but d’améliorer l’égalité des chances entre les classes sociales. Serait-ce un crime ? Au demeurant, elles n’ont pas toutes été menées par des gens de gauche. C’est un ministre de droite, René Haby, qui a pris la décision fondamentale de créer le collège unique à partir de la sixième, que les conservateurs, sans le dire ou en le disant, voudraient abolir.
Mais les progressistes donnent souvent des verges pour se faire corriger, comme dans les collèges anglais d’autrefois. Leur prédisposition au jargon les expose aux quolibets, qui sont redoutables dans les polémiques publiques. Quand on remplace le mot «piscine» par «milieu aquatique standardisé» (pour inclure les bassins de rivières, par exemple), on endosse le costume des Précieuses Ridicules et on part dans le débat public avec un handicap irrattrapable. Quand on laisse entendre que l’enseignement de l’histoire des religions est obligatoire, mais celui du mouvement des Lumières facultatif, maladresse vite corrigée par Najat Vallaud-Belkacem, on offre sur un plateau des arguments en or à ses adversaires. Lussault échappe à ces caricatures. Mais le théâtre éducatif français lui assignera le rôle du «pédago-dingo» responsable d’un désastre scolaire apocalyptique. Bon courage !
Il y a plus sérieux dans cette affaire. La déploration catastrophiste des Finkielkraut, Polony et autres prophètes de malheur, qui emplissent les pages de Valeurs actuelles et du Figaro est parfaitement outrancière. Dans les classements internationaux, le système scolaire français se situe en milieu de classement, devant celui des Etats-Unis par exemple. Rien d’un désastre. Mais le niveau moyen, c’est un fait, a tendance à s’effriter depuis dix ans, en dépit des moyens considérables mobilisés par la nation et des innombrables réformes mises en œuvre depuis cinquante ans (à cause d’elles, disent les procureurs). Et surtout, le but initial – démocratiser l’enseignement – n’est guère atteint. Sur cette période, malgré le collège unique et le bac pour 80% des élèves, l’égalité des chances a légèrement régressé. Tel est le vrai problème, que les deux camps ont tendance à noyer sous un déluge d’invectives creuses. On ne reviendra pas à l’école de Marcel Pagnol ni à «la Dernière classe» d’Alphonse Daudet. Mais les progressistes ne peuvent se contenter de dire : «Depuis que vous prenez mes médications vous vous sentez de plus en plus mal ? C’est que vous n’en avez pas pris assez...»
Et aussi
Le discours sur l’Europe qu’Emmanuel Macron prononce à la Sorbonne est important. On dit qu’il va tomber à plat après les élections allemandes, qui ont vu les eurosceptiques gagner en influence. Le chef du parti libéral allemand, pressenti pour une coalition avec Angela Merkel, a nommément rejeté, avec éclat, les idées macroniennes. Mais c’est une réflexion à courte vue. Sur le fond, il n’est d’autre voie pour sauver l’Union face aux populistes que de mieux l’intégrer et lui donner les moyens d’une politique industrielle, sociale et migratoire plus cohérente, qui offre un avenir lisible aux peuples du continent. Les jérémiades germaniques sur l’excès des dépenses – que la République fédérale devrait soi-disant acquitter – sont des arguments de boutique et de radinerie face aux enjeux fondamentaux de l’affaire. Macron a donc cent fois raison de persister.
Les élections allemandes ouvrent de nouveau le robinet à clichés. Si l’extrême droite progresse, disent les uns, c’est à cause de l’immigration. Non ! Disent les autres : c’est en raison de l’inégalité sociale, mère de tous les vices. Double problème : l’AfD progresse dans un pays où le chômage a été ramené à moins de 5% de la population active. Difficile d’incriminer le sous-emploi. Frauke Petry, leadeuse du parti xénophobe, réalise 47% des voix dans son fief, où la situation économique est plutôt florissante. Limites du sociologisme… Mais le score du parti d’extrême droite est très supérieur à la moyenne dans les anciens Länder de l’est, où les difficultés sociales sont plus graves. Limites du culturalisme… A vrai dire, les deux facteurs – immigration et pauvreté - ne se substituent pas l’un à l’autre. Ils se conjuguent.
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