Dans un entretien avec Asharq al-Awsat, le diplomate américain affirme que son pays a donné de faux espoirs aux Syriens qui croyaient que les États-Unis interviendraient militairement contre Assad.
Robert Ford, ambassadeur des E.-U. en Syrie de 2011 à 2014, a affirmé que son pays avait donné de « faux espoirs » au peuple syrien, quand les officiels américains ont fait des promesses aux opposants et manifestants, promesses qui ne furent pas tenues par la suite.
Dans un entretien au journal londonien Asharq al-Awsat, Ford a dit qu’il s’est rendu à la ville syrienne de Hama en juin 2011, afin de déterminer lequel du régime Assad ou de l’opposition fomentait les violences.
« Nous avons reçu l’information que Hama était assiégée et que l’armée syrienne encerclait la ville. Nous étions préoccupés par le fait que la violence pouvait éclater lors des manifestations organisées le lendemain. J’y suis allé un jeudi pour constater quel parti incitait à la violence », a-t-il déclaré.
Sa visite consistait également à montrer au régime syrien que Washington considérait les événements de Hama avec la plus grande attention.
Cependant, Ford affirmait qu’au moment de sa visite, son pays a donné de « faux espoirs » à l’opposition syrienne, laquelle était convaincue que Washington lui apporterait son soutien et interviendrait militairement, à un moment où les E.-U. étaient en fait à la recherche d’une solution négociée.
« A la fin de 2013, je pensais que la guerre serait rude pour le régime, qui serait dans l’obligation de négocier un accord » pour former une coalition gouvernementale avec les forces de l’opposition et des personnalités indépendantes , déclara l’ambassadeur américain.
Il ajouta : « Ma plus grande erreur était que je ne m’attendais pas à ce que l’Iran et le Hezbollah envoient des milliers de combattants pour soutenir [le chef du régime syrien Bachar] Assad. »
Ford, qui avait quitté Damas en 2012, affirmait aussi que le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov avait trompé son homologue américain John Kerry au cours de l’accord sur les armes chimiques de fin 2013, et qu’il le traitait comme un enfant.
A la suite d’une attaque chimique mortelle en 2013, la Syrie avait accepté de détruire son arsenal chimique selon un accord négocié par la Russie et les E.-U., quand elle adhéra à l’Organisation pour l’Interdiction des Armes chimiques. Mais subsistait la question de savoir si Damas avait alors tout déclaré dans son programme d’armes chimiques.
Ford affirmait également que les Kurdes paieraient cher leur confiance aux Américains, ajoutant que l’armée américaine se servait des Kurdes uniquement pour combattre l’État Islamique (EI). Ford affirma : « Washington n’ordonnerait pas à l’armée américaine de défendre le Kurdistan occidental en tant qu’entité politique indépendante dans la future Syrie ».
Ci-dessous des extraits d’une longue session questions-réponses.
Commençons par un point important : votre visite à Hama en juin 2011. Pourquoi êtes-vous allé là-bas ? Pensez-vous que c’était une bonne décision ?
Les deux questions sont légitimes. Pourquoi êtes-vous allé là-bas ? La réponse est simple. Nous avions des informations comme quoi Hama était assiégée et que l’armée encerclait la ville, nous étions donc préoccupés par des actes de violence lors de la manifestation du lendemain. Je m’y suis rendu le jeudi parce que je voulais être témoin des violences si elles se produisaient, et savoir qui les aurait déclenchées, car la question que se poserait Washington serait : qui a commencé les violences ? les manifestants ou le gouvernement ? Si Washington me le demande, et si je réponds que je ne sais pas parce que je suis à Damas, Washington n’acceptera pas ma réponse. Je pensais également que si j’envoyais des diplomates de l’ambassade, ce ne serait pas aussi efficace que si j’y avais été moi-même.
Ma visite envoyait également le message au gouvernement syrien que nous prenions ce problème au sérieux, et qu’ils ne devraient pas envoyer l’armée dans la ville. Hama a une histoire tragique comme vous le savez. Je n’ai pas demandé la permission au Département d’Etat américain. J’ai dit simplemnt que je m’y rendais. J’ai envoyé un message à Jeffrey Feltman (Secrétaire adjoint) le mercredi, et j’ai dit que j’allais à Hamas le jeudi, un jour avant les manifestations du vendredi.
Était-ce une bonne décision ?
Il y a deux aspects. Positif et négatif. Premièrement, ma visite a montré aux Syriens que nous étions attentifs aux problèmes des droits de l’homme. Jusqu’à présent, quand je rencontre des Syriens, ils me disent : j’ai été à Hama, merci. De plus, j’ai appris beaucoup de choses à propos de l’opposition suite à cette visite. Auparavant, nous ne savions pas à quel point ils étaient organisés. Ils avaient leurs propre sécurité, un commandement unifié et une cellule de soutien économique pour les familles. Ce n’était pas la raison pour laquelle nous y sommes allés, mais je l’ai découvert.
Mais il y avait deux inconvénients à cela. Premièrement, le gouvernement syrien s’est servi de ma visite à des fins de propagande comme quoi la révolution syrienne était un complot de l’étranger. Deuxièmement — l’un de mes étudiants à Yale a écrit une thèse sur le sujet — ma visite et d’autres actions en Syrie en 2011 ont favorisé la croissance du mouvement protestataire, mais les Américains n’étaient pas prêts à envoyer des forces armées pour aider les Syriens. Cela signifie que nous avons donné de faux espoirs aux Syriens.
De faux espoirs ?
Connaissez-vous l’histoire de la Hongrie en 1956 ? Durant la guerre froide. (Le Président Dwight) Eisenhower et le Président soviétique (Nikita) Krouchtchev. A cette époque, les Hongrois manifestaient à Budapest. Avant cela, la propagande américaine disait que l’Amérique aiderait le peuple et encourageait les manifestations contre le communisme en Europe de l’Est, y compris en Hongrie. L’Occident compatissait à leur situation. Les Hongrois se soulevèrent en novembre 1956 pendant la crise du canal de Suez. Bien sûr, les Américains ne firent rien. Les Hongrois furent écrasés par l’armée soviétique et il y eut des victimes, des arrestations et des disparitions. Pour les Hongrois, ce fut une expérience dramatique.
Des gens ont dit que ma visite et celle de l’ambassadeur de France Eric Chevalier rappellent ce qui s’est passé en Hongrie : nous avons donné des espoirs au peuple, et ensuite nous l’avons délaissé. Ce n’a jamais été notre intention. Comme vous savez, j’ai toujours dit à Damas que les forces armées américaines n’interviendraient pas. J’ai souvent discuté avec les opposants. Je l’ai dit à tout le monde : après la guerre en Irak, l’ armée américaine ne viendra pas à votre secours. Je l’ai dit aux habitants d’Hama : restez pacifiques. S’il y a des violences, les forces armées américaines ne viendront pas à votre secours.
Certains ont entendu mon message, mais pas tous. Ce qui signifie qu’il y a eu encouragement, même si ce n’était pas intentionnel.
La session Questions & Réponses a été traduite et diffusée par The Syrian Observer. Le contenu de l’information ainsi que les points de vues exprimés dans cet article n’engagent que leur auteur.
Traduit par les lecteurs du site
www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
12 réponses à L’ancien envoyé américain Robert Ford : nous avons donné de faux espoirs aux Syriens
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