Titre : Les Crises.fr - Crise du Qatar : mise au pas de l’Emirat avec l’Iran en ligne de mire, par C. Galactéros
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Juin
2017
Crise du Qatar : mise au pas de l’Emirat avec l’Iran en ligne de mire, par C. Galactéros
Source : Caroline Galactéros, Bouger Les Lignes, 11-06-2017
Depuis le lundi 5 juin, l’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Emirats arabes unis (EAU), suivis de l’Egypte, de la Libye, du Yémen, des Maldives, et désormais de plusieurs pays africains (la Mauritanie, les Comores, le Tchad, le Sénégal, Djibouti, le Gabon et le Niger), ont décidé de rompre ou réduire leurs relations diplomatiques avec le Qatar : exclusion de l’opération “Tempête décisive” au Yémen ; expulsion des citoyens et diplomates qataris dans plusieurs pays ; fermeture des frontières terrestres, aériennes et maritimes avec Doha ; coupure de tout accès aux médias liés à l’émirat insulaire, notamment Al-Jazeera et BeIN Sports. Quel péché a donc commis ce petit mais très richissime Etat pour mériter une telle mise au ban ? « Le Qatar accueille divers groupes terroristes pour déstabiliser la région, comme la confrérie des Frères musulmans, Daech et Al-Qaeda », a argué dans un communiqué le ministère saoudien des Affaires étrangères, qui, au-delà de ce « soutien au terrorisme », reproche à Doha sa complaisance envers l’Iran. La soudaine préoccupation de Riyad pour la lutte contre le djihadisme qui ensanglante la planète, y compris l’Iran, aurait de quoi faire sourire si cela n’était pas tragique. L’inquiétude de la famille Saoud envers Téhéran est déjà probablement plus sincère.
Cette brusque crise, la plus aigüe depuis l’invasion américaine de l’Irak en 2003, intervient dans la foulée de la visite de Donald Trump à Riyad les 21 et 22 mai lors de laquelle le président américain a ressoudé le lien historique entre l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis – plus de 300 milliards de contrats commerciaux signés, dont un tiers de ventes d’armement – tout en appelant les nations arabes à combattre le terrorisme islamiste et à endiguer l’Iran. Il établit ce faisant un lien frôlant l’absurde entre ces deux derniers éléments. Comment en effet, escamoter l’évidence? La terreur qui ensanglante actuellement la Syrie, la Libye, l’Irak et évidemment l’Europe est le fait du djihadisme sunnite et non chiite, dont Riyad comme Doha sont les puissances dominantes et éminemment prosélytes (depuis plus de 40 ans s’agissant de l’Arabie saoudite). Le lien entre une nouvelle séquence de la politique américaine au Moyen-Orient et le subit Qatar-bashing de l’Arabie Saoudite apparaît plus qu’en filigrane de cette crise. Donald Trump n’a d’ailleurs pas manqué de réagir… sur Twitter :
Avant d’ajouter :
C’est énorme ! Un sommet de cynisme et de stratégie du chaos avec la mise en place d’un leurre spectaculaire pour concentrer la vindicte internationale et remobiliser le front sunnite, via notamment le projet d’une « OTAN arabe », front qui se fissurait dangereusement depuis le changement d’Emir à Doha en 2013, nourrissant un réalisme grandissant de certains Etats du Conseil de coopération du Golfe sur le rôle incontournable de Téhéran dans tout apaisement régional sérieux.
« La fin de l’horreur du terrorisme » ? Les deux attentats en Iran ont dû rappeler Donald Trump à une certaine réalité… Il faut donc dresser un état des lieux suffisamment détaillé pour comprendre comment et pourquoi Doha a pu se retrouver dans cette soudaine quarantaine.
Une vieille rivalité entre l’immense Arabie et le petit Qatar
En 1995, l’émir du Qatar, Khalifa ben Hamad Al Thani, est en Suisse. Son fils, alors ministre de la Défense et chef des forces armées, réalise un coup d’Etat à Doha. Hamad ben Khalifa Al Thani va régner jusqu’en 2013 et procédera à une profonde modernisation du petit émirat tout en déployant une politique internationale intensive et multivectorielle. Symbole de son influence, la chaîne arabe Al-Jazeera va inonder d’informations le monde islamique et pas seulement. Mais le Qatar n’est pas que le promoteur de l’islamisme. Hamad ben Khalifa Al Thani apporte certes son soutien aux Frères musulmans dans le monde arabo-musulman ou au Hamas en Palestine, mais il mène aussi de façon assidue une politique de rapprochement avec les pays occidentaux, en promouvant dans son petit pays de 300.000 citoyens, une politique éducative intense, où les universités anglo-saxonnes jouent un rôle de tout premier plan, et en investissant massivement à l’étranger via son fonds souverain, la Qatar Investment Authority. La France sera l’un des points d’ancrage privilégiés de cette influence qatarie, grassement récompensée en espèces sonnantes et trébuchantes. Doha possède ainsi des parts dans de nombreux fleurons français comme Lagardère, Total, EADS, Vinci ou Areva. Aux Etats-Unis, le Qatar finance aussi des think tanks comme la Brookings Institution. Pour gagner en influence, la politique étrangère de l’Emir se déploie donc tous azimuts… au risque d’un intenable grand écart.
Cette influence extérieure est rendue possible par l’enrichissement très rapide de cet Etat pétrolier, mais surtout gazier. Ses eaux territoriales s’étendent sur la moitié du plus grand champ gazier offshore du monde, le North Dome Field, dont l’autre moitié se situe dans les eaux iraniennes. Il génère aujourd’hui près de 60% du PIB du pays, faisant du Qatar le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL), dont les pays asiatiques, notamment le Japon, sont de très grands importateurs. Plus d’un millier de méthaniers s’approvisionnent chaque année dans le port qatari de Ras Laffan. Mais le Qatar pense aussi au temps où le gaz ne sera plus. De 2005 à 2017, un moratoire limite l’exploitation du gisement, officiellement pour prévenir tout risque écologique à long terme, officieusement pour ne pas faire d’ombre au voisin iranien dont l’exploitation du gisement restait faible en raison des sanctions internationales. Investissant dans le monde entier, l’Emir Al Thani encourage les sociétés étrangères à s’implanter au Qatar où poussent petites et moyennes entreprises.
Mais ce sont les Printemps arabes en 2011 qui vont déstabiliser la politique d’influence trop gourmande de l’émir du Qatar. Contrairement à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis, qui craignent un effet boule de neige, Al Thani décide de soutenir les rébellions qui fleurissent partout dans le monde arabe. L’émirat fournit ainsi un soutien massif en financements et en armes aux rebelles libyens pour renverser Kadhafi. En Égypte, Al Thani prend fait et cause pour le frère musulman Mohamed Morsi. En Syrie, le Qatar sera en première ligne pour soutenir les groupes armés rebelles islamistes, ceux qui relèvent des Frères musulmans comme Ahrar al-Cham, mais aussi ceux directs dérivés d’Al-Qaïda comme l’ ex-Jabhat al-Nosra, rebaptisé Fatah al-Cham avant de se fondre dans le Hayat Tahrir al-Cham au sein duquel il reste dominant. L’arrivée des Frères musulmans en Tunisie et en Egypte fut alors, rappelons-le, naïvement interprétée comme le triomphe d’un modèle de société alternatif aux despotismes arabes dont le modèle achevé aurait été la Turquie d’Erdogan, alliant développement économique et islamisme « modéré » depuis l’arrivée de l’AKP au pouvoir en 2002. Un « modèle » qui n’en demeure pas moins concurrent du leadership auquel prétend l’Arabie saoudite sur le monde arabe sunnite.
C’est là un virage stratégique majeur de la politique extérieure du Qatar, qui profitait jusque-là de son nouveau poids diplomatique pour se poser en puissance médiatrice notamment à propos des crises du Liban, du Darfour ou de l’Erythrée.
L’Arabie Saoudite voit alors déjà d’un très mauvais œil l’influence économique et politique grandissante de ce tout petit Etat péninsulaire qui veut marcher dans la cour des Grands jusqu’à la supplanter. La Syrie sera le tournant de cette nouvelle stratégie de Doha. Fin 2013, l’émir du Qatar abdique et laisse sa place à l’un de ses nombreux fils, Tamim Ben Hamad Al Thani. Comme l’explique très bien Ardavan Amir-Aslani dans Atlantico : « Si on laisse de côté la maladie diplomatique qui ne trompe personne, il y a à mon sens deux raisons essentielles (à son abdication). Primo, son échec cuisant en Syrie. Il y a deux ans, il avait promis à ses alliés occidentaux que le régime de Bachar Al-Assad ne tiendra pas six mois. Secundo, la marge de manœuvre qu’il s’est octroyée dans l’appui aux islamistes, dépassant ainsi le seuil de tolérance américain. C’est que le Qatar est allé trop loin dans le soutien financier et militaire à des salafistes qui sont encore considérés par l’administration américaine comme étant des groupes terroristes. Notamment Al-Qaïda, et pas seulement en Syrie, mais en Irak, en Libye, au Mali et en Somalie. »
Depuis 2013 donc, si l’émir Tamim prolonge globalement la politique étrangère de son père – en mettant un point d’honneur à conserver son indépendance – il le fait de manière moins offensive que celui-ci, notamment dans le financement des rébellions islamistes et djihadistes à travers le monde. Comme le dit Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro, « Tamim a voulu nettoyer les écuries »… Il a choisi en revanche de maintenir de façon réaliste une certaine compréhension vis-à-vis de Téhéran au grand dam de l’Arabie Saoudite. Une première crise diplomatique avait eu lieu en mars 2014 lorsque l’Arabie Saoudite, les EAU et Bahreïn avaient déjà rappelé leurs ambassadeurs à Doha. A l’époque, les trois pays du Golfe reprochaient à leur voisin ses liens avec les Frères Musulmans et ses “ingérences” dans les affaires du Golfe. En fait, Riyad reproche à Doha de ne plus soutenir le même djihad mondial et de retrouver la voie d’une position plus équilibrée vis à vis de Téhéran et maquille cette déconvenue d’une accusation en soutien du terrorisme pour noyer le poisson de sa véritable cible, Téhéran, dans une très inquiétante convergence avec Washington et Tel-Aviv.
La crise diplomatique actuelle ne peut donc être comprise sans avoir à l’esprit cette forte et ancienne concurrence entre l’Arabie saoudite et le Qatar. La soudaine condamnation de Doha est une réaction sous la houlette de Riyad, réassuré par Washington, face à la fissuration du front sunnite contre Téhéran (et Damas). L’Egypte fortement soutenue financièrement par l’Arabie Saoudite, a rejoint la fronde actuelle. D’après Al Monitor, le régime du Maréchal al-Sissi chercherait à isoler le Qatar depuis plusieurs années, lui reprochant de soutenir les organisations terroristes (en particulier les Frères musulmans), l’idéologie de l’Etat islamique qui prospère dans le Sinaï, et d’interférer dans ses affaires intérieures.
Quant à Riyad, sa convergence-connivence avec Le Caire, dans laquelle Moscou essaie d’ailleurs avec constance d’enfoncer un coin, se base sur la rivalité idéologique qui oppose la branche wahhabite saoudienne à celle des Frères musulmans. L’Arabie saoudite tente par divers moyens de chasser les Frères musulmans qui ont prospéré sur les révoltes arabes en soutenant Sissi. On ne peut également s’empêcher de songer à une séquence inachevée amorcée avec le Coup d’Etat manqué en Turquie de 2016. L’opprobre actuel jeté sur le Qatar pour le déstabiliser pourrait faire à nouveau de la Turquie une cible à moyen terme.
Le tournant pro-saoudien de Donald Trump, qui semble avoir rompu (de gré ou de force) avec le rééquilibrage stratégique tenté par son prédécesseur qui avait abouti à l’accord sur le nucléaire du 14 juillet 2015, a donné au Royaume l’occasion inespérée de remettre le petit Etat gazier à sa place. Mais ce premier niveau d’analyse n’est probablement pas le plus déterminant. A un second, c’est davantage la rivalité entre Riyad et Téhéran (et en filigrane celle entre Washington et Moscou) qu’il faut mesurer pour comprendre le sort actuel du Qatar .
Une rivalité absolue entre l’Arabie et la Perse
Car, au fond, s’il existe bel et bien une rivalité entre les différents États du Golfe, s’il existe encore indubitablement une rivalité relative à l’influence idéologique sur le monde islamique avec d’un côté le wahhabisme en Arabie Saoudite et de l’autre les Frères musulmans au Qatar et en Turquie (et les financements concurrents du terrorisme qui vont avec), la principale force motrice de ces tensions reste le duel que se livrent Riyad et Téhéran. Un duel qui peut « monter aux extrêmes » jusqu’à la « guerre absolue » ou se jouer par proxies interposés via de « petites guerres » (encore une expression clausewitzienne, qui faisait référence à l’époque à la campagne napoléonienne en Espagne et à la découverte de l’art de la guérilla).
On peut sans doute dire que nous assistons à l’heure actuelle, à une phase de montée aux extrêmes dans ce duel irano-saoudien qui se matérialise déjà par les guerres en Syrie et en Irak. Les puissances sunnites ont d’abord tenté à partir de 2011, de renverser à Damas un pouvoir jugé trop proche de Téhéran. Aujourd’hui, fort du soutien russe, l’Iran fait de la Syrie une étape essentielle de sa route terrestre vers la Méditerranée que le Roi de Jordanie, en 2004, avait qualifiée de « croissant chiite » (Téhéran/Bagdad/Damas/Beyrouth). A noter par ailleurs que celui-ci recouvre sa réalité territoriale puisque le 9 juin les forces gouvernementales syriennes ont atteint la frontière syro-irakienne à l’est du passage d’Al Tanf, tenu par les rebelles et les forces spéciales américaines, faisant la jonction avec les forces gouvernementales irakiennes et les Unités de mobilisation populaires chiites.
Situation militaire au sud-est de la Syrie le 09/06/2017. En rouge les forces gouvernementales syriennes ; en vert les rebelles syriens ; en rose les forces gouvernementales irakiennes ; en noir l’Etat islamique. © South Front.
Les forces gouvernementales prennent ainsi un avantage décisif dans la course pour l’Est syrien que nous évoquions le mois dernier, puisque les rebelles soutenus par les Etats-Unis se retrouvent désormais bloqués par les forces pro-gouvernementales.
Parallèlement à la Syrie, la guerre au Yémen, où l’Arabie saoudite patine face aux rebelles houthis tout en massacrant les civils dans un assourdissant silence médiatique occidental, illustre ces « petites guerres » par proxys qui alimentent le duel irano-saoudien.
Turquie, Iran, Qatar sous la houlette de Moscou : un rapprochement énergétique
Le crime de lèse-majesté qatari, source de sa mise au ban, est donc la politique réaliste vis-à-vis de Téhéran menée par Doha depuis plusieurs années. C’est là évidemment son plus grave péché aux yeux de Riyad. Les raisons en sont à la fois politiques, énergétiques et économiques. Politiquement, le Qatar se sert de cette relation avec l’Iran pour affirmer une ligne indépendante par rapport aux autres Etats qui s’alignent sur la position maximaliste saoudienne au sein du Conseil de Coopération du Golfe. L’autre raison à cette relation spéciale entre l’Iran et le Qatar est énergétique et donc économique.
Doha et Téhéran partagent en effet dans le Golfe persique le plus grand gisement gazier offshore du monde, évoqué plus haut. North Dome du côté qatari et South Pars du côté iranien représentent ensemble près de 20% des réserves mondiales de gaz naturel sur environ 10.000 km2. Exploité depuis 1989 par le Qatar, ce gisement l’est beaucoup moins du côté iranien car Téhéran est considérablement en retard dans son exploitation du fait des sanctions économiques qui ont existé jusqu’en 2015 et qui, en réalité, ne sont levées que très progressivement.
Carte des infrastructures énergétiques du Qatar. © U.S. Energy Information Administration, IHS EDIN.
L’un des facteurs du déclenchement de la crise en Syrie provient […]
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